Chicha : comment aborder le sujet avec son ado ?
Depuis une vingtaine d’années, le narguilé voit sa popularité croître largement et sa consommation s’étendre au monde entier.
Si la norme sociale liée à la cigarette à été combattue par les instances de santé publique de façon organisée et plutôt efficace1, ce n’est pas le cas des nouvelles manières2 de consommer le tabac qui se sont développées et sont arrivées sur le devant de la scène.
Parmi elles, la chicha tient une place de choix. L’OMS s’est d’ailleurs saisie de ce problème qui touche tous les pays et précise que : « — l’usage du narguilé constitue un risque sanitaire sérieux aussi bien pour le fumeur actif que pour les autres personnes exposées à la fumée ; — le tabac adouci et aromatisé utilisé dans un narguilé peut constituer une porte d’entrée dans le tabagisme pour un certain nombre de personnes, particulièrement des jeunes, qui sans cela n’auraient jamais commencé à fumer. »
Chichamaps, fidèle à sa démarche préventive en matière de santé publique, souhaite dresser un état des lieux de la consommation de narguilé chez les jeunes.
D’abord, pour informer et sensibiliser ses lecteurs “parents” afin de faire la lumière sur ce qu’est vraiment la consommation de narguilé chez les jeunes. Et surtout pour les aiguiller sur la manière la plus intelligente d’aborder le sujet avec un adolescent qui n’est pas toujours ouvert au dialogue…
Chicha & jeunes : quelques chiffres
Une enquête a été conduite au 1er trimestre 20073 chez les élèves des collèges et lycées par Paris sans tabac et l’Académie de Paris.
Elle révèle que la chicha est de plus en plus populaire chez les plus jeunes, 50% des élèves de 16 ans ont déjà fumé la chicha. Par ailleurs, 20% des lycéens de 18 ans fument la chicha au moins une fois par mois.
Une seconde enquête conduite début 20074 auprès d’étudiants — Paris, Lille, Caen — montre que sur 2 762 étudiants interrogés, 43,2 % des étudiants se déclarent fumeurs, parmi lesquels 26,6 % fumeurs quotidiens.
En Belgique, une enquête menée en 20095 auprès de 1049 élèves âgés de 17 à 18 ans montre que parmi ceux-ci, 54% ont déjà fumé la chicha.
La consommation de la chicha toucherait tous les milieux culturels et sociaux. Sur ce même échantillon belge, la chicha a été expérimentée par 59% de jeunes néerlandophones, 53% de francophones, 52% de germanophones et 43% des jeunes arabophones.
Chez les jeunes, la chicha serait donc plutôt un objet d’identification aux pairs qu’un moyen de s’identifier culturellement.
Cette hypothèse se vérifie d’ailleurs assez bien grâce à l’enquête de 2007 abordée précédemment : dans 84.4 % des cas, les jeunes fument le week-end et 88.4 % d’entre eux affirment consommer entre amis — contre seulement 11.6 % affirmant consommer seuls. La chicha reste donc pour une majorité de jeunes un moment de partage entre amis.
Enfin, où les jeunes se rejoignent-il pour fumer ? En France, majoritairement dans la sphère privée, chez eux, dans des parcs, en soirée… — seuls 30% affirment se rendre dans des bars à chicha -. Pour ce qui est des Belges, ce serait l’inverse.
Chicha & jeunes : un déficit de prévention
La popularisation de la chicha chez les jeunes est indéniable et pourrait s’expliquer par plusieurs biais. Premièrement, à cet âge, ces derniers sont en pleine création identitaire et sont donc particulièrement malléables et sensibles aux phénomènes de mode.
Les représentations de célébrités telles que celle du rappeur Canadien Drake en train de fumer la chicha suffit à rendre le phénomène “cool” aux yeux des millions de jeunes idolatrant l’artiste.
Si les jeunes sont sensibilisés aux dangers de la cigarette, ils le sont beaucoup moins concernant les dangers du tabac de manière plus générale.
La prévention et la sensibilisation concernant la chicha restent limitées.
Beaucoup d’adolescents ne sont pas ou peu informés des effets de la chicha sur la santé. En effet, la plupart des jeunes interrogés n’ont pas d’avis ou ne savent pas comment se positionne la chicha par rapport aux autres moyens de consommer le tabac.
Certains jeunes pensent même que la chicha est moins nocive que la cigarette et qu’elle n’entraîne pas de dépendance. Plus largement, les résultats de l’enquête montrent que 23% des jeunes répondent que la chicha est la moins dangereuse des consommations et 44% ont répondu qu’aucune de ces consommations n’était sans effet sur la santé.
On constate également qu’une partie des jeunes interrogés pense que la chicha est moins nocive, qu’il n’y a pas de nicotine dans le tabac à chicha et que l’eau filtrant la fumée, l’inhalation est composée de vapeur d’eau.
Si vous, parents, ne savez pas quels sont les dangers de la chicha, nous avons aussi réalisé un état des lieux.
Chicha & jeunes : comment aborder le sujet ?
De manière générale, notre premier réflexe est de centrer notre propos sur les méfaits du tabac, sur les composants toxiques de la fumée et sur les risques pour la santé.
Si les jeunes pensent que la chicha est moins nocive pour la santé que la cigarette, la grande majorité sait que c’est une pratique qui reste risquée et dangereuse. Se reposer sur l’idée que la “méconnaissance” des dangers explique les comportements à risque est alors insuffisante et risque plutôt d’agacer votre ado qui vous fera alors sa moue — si, si, vous voyez très bien de laquelle je veux parler — et se fermera à la discussion.
C’est la même logique qui guide les messages de prévention avec l’exemple typique des paquets de cigarettes et de leurs slogans et images choc.
Ainsi, nous voyons bien que l’information ne suffit pas et que la perception du risque peut être biaisée ou niée — pour la cigarette comme pour la chicha -.
Alors si la connaissance des dangers ne peut à elle seule convaincre votre ado d’arrêter, qui ou quoi en a le pouvoir me demandez-vous ? Eh bien lui seul en a le pouvoir ! Le sensibiliser à ces dangers, et cela passe par un concept très simple mais trop souvent oublié dans ce genre de situation : le DIA-LO-GUE !
Quelle direction pour la prévention ?
Le meilleur moyen d’enclencher le dialogue avec un adolescent est de lui laisser la parole et de vous positionner en tant “qu’arbitre” de la discussion.
Cela permet de susciter son expression, d’écouter ses motivations en le positionnant comme acteur principal de la discussion tout en créant un lien de confiance.
Cette reconnaissance de l’autonomie de l’adolescent facilite la prise de décision “réfléchie” prenant en compte les informations qu’il a déjà assimilé — comme les dangers du tabac par exemple -. Cela permet aussi d’éloigner la direction conflictuelle que prend généralement ce genre de discussion.
Le fait de dialoguer avec son ado ne présente que des avantages et vous permettra de “qualifier” sa consommation et de délimiter son niveau de connaissance sur les risques du tabagisme : où en est-il ? Fume-t-il de manière expérimentale ou de manière répétée ? Fume-t-il seul ou juste avec des amis ? Ne fume-t-il qu’en soirée ? Etc…
Il est très important de repérer à quel stade se situe le jeune. En effet, proposer l’arrêt de manière prématurée pourrait provoquer une réaction d’opposition. C’est pourquoi il est indispensable d’établir une relation de collaboration, de confiance, en laissant une place active à l’adolescent pour qu’il ne se retranche pas dans la contradiction automatique.
En tant qu’adulte, c’est à vous d’adopter la bonne posture et de vous montrer à l’écoute. Ne vous positionnez pas en tant qu’expert du tabac, évitez les questions fermées qui vont faire glisser le dialogue en interrogatoire et surtout, assurez-vous d’avoir délimité la consommation de votre ado pour le guider vers un chemin adapté à sa situation.
Par exemple, s’il affirme de fumer qu’une fois par semaine avec 4 amis et qu’il semble “satisfait” de cette consommation, ne lui imposez pas l’arrêt strict et total directement, une injonction qu’il ne comprendra pas et à laquelle il répondra avec le fameux : «estime toi heureux.se, ça pourrait être pire !».
Enfin, quelle que soit votre considération personnelle vis-à-vis du tabac, évitez à tout prix qu’il ressente un jugement moral de votre part. En effet, ses idées, ses attitudes et ses comportements constituent autant de biais, qui peuvent amener, soit à banaliser, soit à sur-dramatiser sa consommation.
La position de Chichamaps
C’est dans une démarche de réduction des risques que Chichamaps vous propose ces quelques conseils pour parvenir à discuter avec votre ado. Le plus compliqué est de nouer le dialogue sur un sujet dont on sait qu’il est tabou.
On ne le répètera jamais assez : la consommation de tabac nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage.
Alors, parents, prenez votre courage à deux mains et installez-vous confortablement avec votre ado pour l’écouter : c’est la clé ?
1 On compte, fin 2018, 1,6 millions de fumeurs en moins comparé à début 2017.
2 Considérant la chicha : on parle de “nouveauté” par rapport à sa présence dans le paysage médiatique et public français et européen, et non pas par rapport à son apparition réelle qui elle, est millénaire.
3 Enquête sur le mode de consommation de la chicha (narguilé) en 2007 en France.
4 Enquête menée par l’association Actif dans le cadre d’un appel d’offre de la Mildt.
5 Enquête menée par la Coalition Nationale contre le Tabac.